Le courrier papier : encore utile ou pur vestige ?
À l’heure où nos communications passent presque toutes par le numérique, le courrier papier continue pourtant d’exister. Objet de mémoire pour certains, outil dépassé pour d’autres, il soulève alors une question simple : a-t-il encore sa place ? Dans un contexte où rapidité, écologie et accessibilité sont devenues prioritaires, ce support mérite un examen lucide de ses forces… et de ses limites.
Les atouts du courrier papier
1. Un héritage historique
L’utilisation du courrier papier est une pratique millénaire, bien ancrée dans l’histoire des sociétés humaines. En Égypte ancienne, dès 3000 av. J.-C., servait déjà à transmettre des instructions et à administrer le royaume. Cette tradition de correspondance écrite s’est ensuite perpétuée à travers les siècles et les peuples.
À l’époque de la Nouvelle-France, le courrier papier restait un moyen privilégié de communication, avec la création, en 1734, du premier service postal officiel reliant les villes de Québec et de Montréal.
Aujourd’hui, au Québec, force est de constater que cette pratique a nettement perdu du terrain, au profit des nouvelles technologies comme l’ordinateur, le téléphone mobile et les tablettes. Pourtant, si le papier tend à s’effacer, il laisse derrière lui une marque sensible et mémorielle, encore vive pour plusieurs personnes.
2. Expérience tactile et connexion émotionnelle
En effet, pour certains, la lettre papier, tout comme la carte postale, offre une expérience sensorielle que le numérique ne peut égaler. Le froissement et le grain du papier sous les doigts, son épaisseur et son parfum sont autant de détails qui sollicitent le toucher, la vue, l’odorat et même l’ouïe.
Pour d’autres, elle devient un objet soigneusement conservé et chéri. La calligraphie, unique à chacun, est comme une empreinte digitale ; une lettre ou une recette manuscrite d’un proche se transforme ainsi en souvenir précieux, comme un rappel discret, mais constant, du lien avec l’expéditeur.
3. Attention accrue et qualité du message
Le courrier papier oblige également à ralentir. Puisqu’il ne permet ni l’instantanéité ou la modification à la volée, il invite généralement à une rédaction plus posée. Là où le texto ou le courriel aura tendance à se précipiter, le courrier papier agira comme un filtre face à l’impulsivité et la distraction.
Bien sûr, le numérique n’exclut pas la concentration, mais le support physique, par les gestes qu’il implique – prendre un crayon, rédiger, affranchir, poster – se doublera de sens et d’intention. Il installera un espace de réflexion, tant pour celui qui écrit que pour celui qui lit et pourra même parfois, par sa nature pérenne, renforcer le poids du message et la qualité de l’échange.
4. Moins d’interférences numériques
Notons que le courrier papier ne s’accompagne d’aucune alerte, bannière publicitaire, redirection, lien à cliquer ou fenêtre Web à fermer. Il ne se partage pas involontairement, ou, à tout le moins, plus rarement.
Selon une étude relayée par l’Université de Montpellier, en France, les notifications, même silencieuses, mobiliseraient également une bonne partie de nos ressources cognitives et diminueraient significativement notre concentration. Les interruptions répétées provoqueraient ainsi une charge mentale importante et entraîneraient une augmentation moyenne de 27 % du temps d’exécution de l’activité en cours.
Dans ce contexte, le courrier papier devient alors une ressource plus stable, en particulier pour les personnes vulnérables à la surcharge cognitive.
5. Adapté à tous les publics
Ce format tangible demeure aussi accessible et compréhensible pour un large public, sans connaissance numérique requise. Il ne dépend d’aucun appareil, d’aucune connexion, ni de mise à jour : il arrive tel quel, prêt à être lu, sans barrière technologique.
Dans certaines régions du Canada, l’accès à Internet reste inégal. Selon un rapport de 2021, seulement 59,5 % des ménages en milieu rural et éloigné bénéficieraient d’un service Internet à haute vitesse, contre 90 % en zone urbaine.
Face à cette disparité, le courrier papier conserve son utilité. Pratique et inclusif, il permet de transmettre une information, sans dépendre d’un écran ou des caprices de la connexion. Qu’il s’agisse d’une invitation, d’un relevé ou d’un mot personnel, chacun peut en prendre connaissance à son rythme – et cela vaut autant pour les jeunes que pour les moins jeunes.
Et ses limites
1. Lenteur et risques de perte
En contrepartie, le courrier papier demande du temps, notamment en termes d’acheminement. En effet, les délais peuvent s’étendre sur plusieurs jours, voire plus en période de forte affluence ou d’interruption de service.
À cela s’ajoute le risque de perte ou de détérioration. Une lettre peut être égarée ou livrée au mauvais destinataire, par exemple.
Ces limites rendent le courrier moins fiable pour les communications urgentes et rappellent la nécessité de choisir le bon canal selon l’importance du message et les délais requis.
2. Coûts
Envoyer une lettre ou une carte par la poste représente un coût réel, même pour un usage ponctuel. Depuis janvier 2025, le prix d’un timbre acheté en carnet est passé de 0,99 $ à 1,24 $, et à 1,44 $ lorsqu’il est acheté à l’unité. À cela s’ajoutent le prix du papier, des enveloppes, et parfois les frais d’impression. Au total, une seule lettre peut facilement coûter entre 1,50 $ et 2,00 $.
En comparaison, un abonnement Internet mensuel, qui se situe entre 40 et 70 dollars, semble élevé à première vue. Pourtant, ce montant donne accès à une multitude de services à la fois : messagerie, appels vidéo, informations, divertissement, démarches administratives, etc.
À l’inverse, le courrier papier reste facturé à l’unité. Une personne qui envoie régulièrement quelques lettres chaque moi – à des proches, pour des démarches, pour des vœux ou des nouvelles – peut rapidement atteindre un total de 10 à 15 lettres, soit entre 15 $ et 30 $. Dès qu’une certaine fréquence s’installe, le numérique devient donc plus économique, tout en multipliant les possibilités de communication.
3. Impact environnemental
Sur le plan environnemental, le papier mobilise d’importantes ressources. En Amérique du Nord, entre 600 et 1 000 kg de CO₂ sont émis pour chaque tonne de papier fabriquée, selon le type de fibres et le procédé utilisé !
Même si les émissions directes des papetières canadiennes ont diminué ces dernières années grâce à l’utilisation accrue de biomasse et d’énergies renouvelables, il reste du chemin à parcourir.
Le numérique, de son côté, repose sur des infrastructures énergivores (centres de données, réseaux, terminaux) et génère des déchets électroniques difficilement recyclables ou non compostables. Toutefois, certains usages, comme l’envoi d’un courriel ou la consultation d’un document en ligne, ont un impact plus faible que leur équivalent papier.
D’après l’Agence de la transition écologique (ADEME), un simple courriel émet en moyenne 4 g de CO₂, contre 29 g pour une lettre imprimée, qui nécessite du papier, de l’encre et un transport physique. Autrement dit, même s’il n’est pas compostable, le numérique peut s’avérer moins polluant dans des contextes ciblés, à condition d’être utilisé avec sobriété.
Mais alors, quel est le verdict ? Quel support faut-il favoriser ? Finalement, la question n’est pas vraiment de choisir un camp, mais de privilégier ce qui convient le mieux à notre mode de vie… et à nos envies. Le courrier papier conserve toute sa pertinence lorsqu’il s’agit de transmettre un message durable, sensible ou personnalisé. Le numérique, de son côté, s’impose pour sa rapidité, son coût et son usage polyvalent.
Chaque support a ses forces, ses limites et son impact environnemental. L’essentiel est de choisir selon l’objectif, le public et la portée du message. Un usage réfléchi, imprimé ou envoyé avec modération, reste la meilleure façon de communiquer avec justesse, aujourd’hui comme demain !